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Lors du départ d’un train, le bon ordre des choses veut que le conducteur et les passagers occupent leurs places respectives, que le chef de gare donne le signal du départ et qu’enfin le train se mette en route. Un travail intellectuel suit normalement un ordre analogue. Sont d’abord exposés les principes préliminaires et leurs critères justifiés si nécessaire, puis l’on passe au corps doctrinal de l’ouvrage.

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La situation s’apparente à celle d’un conducteur qui voit — tous les passagers s’étant installés —les rails hérissés d’obstacles. Le voyage ne commence plus avec le départ du convoi mais par la levée préalable des obstacles. Le champ ne sera libre qu’ensuite.

Mais lorsque de nombreux lecteurs semblent psychologiquement prévenus contre la matière à traiter, ou marqués par des préjugés très enracinés à son égard, la situation s’apparente à celle d’un conducteur qui voit — tous les passagers s’étant installés —les rails hérissés d’obstacles. Le voyage ne commence plus avec le départ du convoi mais par la levée préalable des obstacles. Le champ ne sera libre qu’ensuite.

De la même façon, les oppositions au thème de cet ouvrage— ou plutôt, les partis pris qui imprègnent la mentalité d’un grand nombre des lecteurs à propos de la noblesse et des autres élites traditionnelles — sont telles que le sujet ne saurait être abordé sans qu’elles ne soient levées.

Voilà expliqué ce qui pourrait paraître étrange et inhabituel dans le titre et le contenu de ce premier chapitre.

1. Sans préjudice pour une action juste et ample en faveur des ouvriers, action opportune en faveur des élites

Il est inutile de rappeler que l’on parle beaucoup aujourd’hui des revendications sociales en faveur des travailleurs manuels. Cette sollicitude est en principe hautement louable et digne de l’appui de tout esprit droit.

Insister de façon unilatérale en faveur des ouvriers, sans se pencher sur les problèmes et les nécessités des autres parfois cruellement atteints par la crise contemporaine, revient pourtant à oublier que la société se compose de différentes catégories sociales, aux fonctions, droits et devoirs spécifiques, et non seulement de travailleurs manuels.

La formation dans le monde entier d’une seule société sans classes est une utopie, thèse invariable des mouvements égalitaires éclos successivement en Europe chrétienne à partir du XVe siècle. Cette thèse est de nos jours défendue surtout par les socialistes, communistes et anarchistes (1).

Les TFP et Bureaux-TFP répandus en Europe, dans les trois Amériques, en Océanie, Asie et Afrique sont très favorables à toutes les améliorations souhaitables de la condition ouvrière ; mais ils ne peuvent admettre que de telles améliorations impliquent l’extinction des autres classes, ou une diminution quelconque de leur signification, devoirs, droits ou fonctions spécifiques en faveur du bien commun, ce qui équivaudrait à leur extinction virtuelle. Chercher à résoudre la question sociale en nivelant toutes les catégories sociales au bénéfice illusoire d’une seule, c’est provoquer une véritable lutte des classes puisque les supprimer toutes au profit exclusif de la dictature de l’une d’entre elles — le prolétariat — c’est placer les autres devant une seule alternative : la légitime défense ou la mort.

On ne peut attendre des TFP qu’elles soutiennent ce processus de nivellement social. En opposition avec les propagateurs de la lutte des classes — et en collaboration avec les multiples initiatives qui se développent aujourd’hui en faveur de la paix sociale, par un juste et nécessaire appui aux ouvriers — tous nos contemporains bien orientés ont le devoir d’agir pour l’ordre social, contrairement aux agissements socialistes ou communistes qui recherchent la tension et, finalement, l’explosion de la lutte des classes.

Pour qu’existe l’ordre social, il faut qu’à chaque classe soit reconnu le droit de vivre dans la dignité ; et que chacune d’entre elles, respectée dans ses droits spécifiques, soit en mesure d’accomplir les devoirs qui lui incombent dans le service du bien commun.

En d’autres termes, il est indispensable que l’action en faveur des ouvriers aille de pair avec une action symétrique en faveur des élites.

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La formation dans le monde entier d’une seule société sans classes est une utopie, thèse invariable des mouvements égalitaires éclos successivement en Europe chrétienne à partir du XVe siècle. Cette thèse est de nos jours défendue surtout par les socialistes, communistes et anarchistes.

Si l’Eglise s’intéresse à la question sociale, ce n’est pas parce qu’Elle n’aime que l’ouvrier. Elle n’est pas un parti travailliste fondé pour protéger une seule classe. Elle aime, plus que chacune des différentes classes — considérée isolément et sans lien avec les autres — la justice et la charité, qu’Elle s’emploie à faire régner parmi les hommes. C’est pourquoi Elle aime toutes les classes sociales… même la noblesse, tant combattue par la démagogie égalitaire (2).

Ces considérations conduisent tout naturellement au thème de ce livre. Pie XII reconnaît en effet à la noblesse une mission importante et particulière dans l’ensemble de la société contemporaine ; mission qui, commentée plus loin, concerne de façon analogue et dans une large mesure, les autres élites sociales. Le Souverain Pontife traite ce problème dans les treize allocutions magistrales prononcées lors de la présentation des voeux du nouvel an, concédées au Patriciat et à la Noblesse romaine de 1940 à 1952 et dans une quatorzième en 1958 (3).

Par ailleurs, personne n’ignore l’offensive énorme et polymorphe menée dans le monde entier aujourd’hui pour affaiblir et éteindre la noblesse ainsi que les autres élites. Il suffit de constater la pression impérieuse qui s’exerce de toutes parts pour omettre, contester ou diminuer sans cesse leur rôle.

Agir en faveur de la noblesse et des élites est aujourd’hui, dans une certaine mesure, plus opportun que jamais. Il convient donc de formuler avec une sereine intrépidité l’affirmation suivante : à notre époque où une « option préférentielle pour les pauvres » est devenue si nécessaire, une « option préférentielle pour les nobles » est elle aussi indispensable, à condition d’inclure dans cette expression les autres élites traditionnelles qui sont dignes d’appui et risquent de disparaître.

L’affirmation pourrait paraître absurde : la condition ouvrière est en thèse plus proche de la pauvreté que la condition nobiliaire. Il est de plus notoire que nombreux sont les nobles dotés de grandes fortunes.

De grandes fortunes parfois, oui. Mais rongées en général par une persécution fiscale implacable, qui nous met continuellement sous les yeux le spectacle consternant de châtelains contraints de transformer leurs châteaux en hôtels ou en résidences touristiques, n’en gardant qu’une partie pour eux-mêmes. Ou de châteaux dont les châtelains servent à la fois de conservateur et de guide — quand ce n’est pas de barman — tandis que la châtelaine exerce péniblement des travaux qui bien souvent ne s’éloignent pas des tâches domestiques, afin de maintenir propre et présentable la demeure ancestrale.

Contre cette persécution — qui revêt d’ailleurs d’autres formes, comme l’extinction du droit d’aînesse et le partage contraignant des héritages — une « option préférentielle en faveur des nobles » n’est-elle pas nécessaire

Non, si l’on considère simplement la noblesse comme une classe parasitaire dilapidant ses propres biens. Mais cette image de la noblesse, qui fait partie de la légende noire issue de la Révolution française, et de celles qui ont suivi en Europe et dans le monde, se trouve rejetée par Pie XII. Bien qu’il déclare sans équivoque que les rangs de la noblesse ont connu des abus et des excès, dignes d’une sévère censure de la part de l’histoire, il retrace en termes émus l’affinité de la mission de la noblesse avec l’ordre naturel des choses, institué par Dieu Lui-même, ainsi que le caractère éminent et bienfaisant de cette mission (4).

2. Noblesse : espèce du genre élites traditionnelles

L’expression « élites traditionnelles » apparaîtra souvent dans cet ouvrage. Elle désigne une réalité socio-économique que l’on peut décrire de la façon suivante. Selon les textes pontificaux commentés plus loin, la noblesse constitue la plus haute des élites. Mais bien sûr, elle n’est pas la seule. Dans le genre « élites », elle est une espèce.

Certaines classes constituent des élites parce qu’elles participent des fonctions et caractères spécifiques de la noblesse ; mais d’autres le sont parce qu’elles accomplissent, dans le corps social, des fonctions entièrement différentes qui n’en possèdent pas moins une dignité propre.

Il existe donc des élites qui ne sont ex natura propria ni nobles, ni héréditaires.

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Il existe donc des élites qui ne sont ex natura propria ni nobles, ni héréditaires.

Le professeur d’Université fait partie de ce que l’on peut appeler l’élite d’une nation. Il en va de même pour le militaire, le diplomate etc. Ces différentes branches d’activité ne sont pas aujourd’hui privilèges de la noblesse. Le nombre de nobles qui s’y consacrent est pourtant grand. Personne n’imagine que ces nobles déchoient ipso facto de leur condition. Ils y trouvent, au contraire, facilement l’occasion d’appliquer l’excellence des attributs de la noblesse (5).

On ne doit pas oublier, dans cette énumération d’élites, celles qui stimulent la vie économique d’un pays par l’industrie ou le commerce. Ces fonctions sont non seulement licites et dignes, mais notoirement utiles. Ces professions ont toutefois pour but immédiat et caractéristique l’enrichissement de ceux qui les exercent. C’est en s’enrichissant que, par le fait même et comme conséquence collatérale, ces personnes enrichissent la nation. Cela ne suffit pas, en soi, pour leur conférer un caractère de noblesse. Un dévouement spécial au bien commun — notamment à ce qu’il a de plus précieux, l’empreinte chrétienne de la civilisation — est en effet indispensable pour attribuer quelque éclat noble à une élite.

Lorsqu’à la faveur des événements, industriels ou commerçants ont cependant l’occasion de rendre au bien commun des services notables — et chaque fois que ces services ont été effectivement rendus au grave préjudice de leurs intérêts personnels légitimes — cet éclat resplendit sur ceux qui ont exercé, avec une telle élévation d’âme, leur activité commerciale ou industrielle. Mais il y a plus. Si, par une heureuse conjonction de circonstances, un même lignage non noble rend un de ces services au long de plusieurs générations, ce fait peut suffire pour l’élever à la condition noble.

C’est à peu près ce qui se produisit avec la noblesse vénitienne, composée généralement de commerçants. Que cette classe ait accédé à la noblesse, alors qu’elle exerçait le gouvernement de la République Sérénissime et tenait dans ses mains le bien commun le plus grand d’un Etat qu’elle avait élevé au rang de puissance internationale, n’a pas de quoi surprendre. Ceci arriva d’une façon si réelle et authentique que ces commerçants acquirent tout le bon ton de la culture et des manières de la meilleure noblesse militaire et féodale.

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Si, par une heureuse conjonction de circonstances, un même lignage non noble rend un de ces services au long de plusieurs générations, ce fait peut suffire pour l’élever à la condition noble. C’est à peu près ce qui se produisit avec la noblesse vénitienne.

D’autres élites traditionnelles se fondent, dès leur origine, sur des capacités et des vertus qui se transmettent de manière évidente par continuité héréditaire, ou par l’ambiance et l’éducation familiales (6).

Quand cette transmission s’effectue et que se forment ainsi des familles — parfois même de vastes ensembles familiaux — qui, de génération en génération, se distinguent par leurs remarquables services envers le bien commun, une élite traditionnelle est née.

Il en résulte une alliance entre l’élite et le précieux attribut d’être traditionnel. Si cette élite ne constitue pas une classe formellement noble, l’unique raison en est souvent que la législation, influencée dans de nombreux pays par les doctrines de la Révolution française, interdit au pouvoir public d’octroyer des titres de noblesse. C’est le cas non seulement de certains pays européens, mais des pays du continent américain.

Nonobstant, les enseignements pontificaux concernant la noblesse sont en grande partie applicables à ces élites traditionnelles, en vertu de l’analogie des situations. D’où l’importance et l’actualité de ces enseignements pontificaux pour ceux qui, porteurs d’éminentes et authentiques traditions familiales, ne sont pas honorés d’un titre de noblesse mais auxquels incombe, dans leurs pays respectifs, une noble mission en faveur du bien commun et de la civilisation chrétienne.

Mutatis mutandis, l’application aux élites non traditionnelles peut se faire de manière semblable, au fur et à mesure que celles-ci deviennent traditionnelles.

3. Objections antinobiliaires imprégnées de l’esprit égalitaire de la Révolution française

« Noblesse », « élites » : pourquoi ne traiter que d’elles dans cet ouvrage Cette objection poindra, sans aucun doute, chez des lecteurs égalitaires, à la mentalité ipso facto antinobiliaire.

La société actuelle est saturée de préjugés radicalement égalitaires, parfois même acceptés, consciemment ou non, par des personnes appartenant à des secteurs d’opinion dont on pourrait attendre une unanimité compacte en sens contraire. C’est le cas, par exemple, de membres du clergé enthousiastes de la trilogie révolutionnaire « liberté, égalité et fraternité », oublieux en cela de ce que celle-ci était alors interprétée de façon totalement opposée à la doctrine catholique (7).

Si de pareilles dissonances égalitaires se révèlent jusque dans les rangs du clergé, il n’est pas surprenant qu’elles se manifestent aussi chez des nobles ou des membres d’autres élites traditionnelles. Le récent bicentenaire de la Révolution française remémore tout naturellement à ce sujet le noble révolutionnaire par excellence que fut le duc d’Orléans, Philippe-Egalité. Son exemple n’a cessé de fructifier depuis dans plus d’une race illustre.

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La société actuelle est saturée de préjugés radicalement égalitaires, parfois même acceptés, consciemment ou non, par des personnes appartenant à des secteurs d’opinion dont on pourrait attendre une unanimité compacte en sens contraire. C’est le cas, par exemple, de membres du clergé enthousiastes de la trilogie révolutionnaire ‘liberté, égalité et fraternité’

Lorsqu’en 1891, Léon XIII publia sa fameuse encyclique Rerum novarum sur la condition du monde ouvrier, il ne manqua pas de gens, dans les milieux capitalistes, pour objecter que les relations entre capital et travail constituaient une matière spécifiquement économique où le Pontife romain n’avait pas à s’immiscer. Son encyclique constituait une incursion déplacée en terre étrangère…

Il ne manquera pas de lecteurs qui, à leur tour, se demanderont ce qui peut amener un Pape à intervenir dans le problème de la noblesse et des élites, traditionnelles ou non. Le fait même que celles-ci subsistent à notre époque si transformée leur semble déjà une excroissance archaïque et inutile du monde féodal. Selon eux, la noblesse et les élites contemporaines représenteraient simplement le centre de cristallisation, ou même d’irradiation, de manières de penser, sentir et agir que l’homme contemporain n’apprécie et ne comprend même plus. Le peu de gens y accordant encore quelque valeur seraient mûs par de vains sentiments, d’ordre seulement esthétique ou poétique. Quant à ceux qui se sentent encore grandis d’y appartenir, voilà des victimes de l’orgueil et de la vanité ; rien n’empêchera donc — pensent toujours ces lecteurs — l’évolution historique de suivre son cours implacable et de purger la face de la terre de ces excroissances obsolètes. Et si Pie XII n’a pas aidé le cours de l’histoire — ainsi compris — il n’avait pas du moins à lui dresser d’obstacle.

Pourquoi Pie XII a-t-il alors développé si amplement ce sujet, dans une direction qui réjouit manifestement les esprits contre-révolutionnaires, et parmi eux celui qui a rassemblé ici ses enseignements, les a annotés et les offre maintenant au public Le Pape n’aurait-il pas mieux fait de se taire

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Pie XII indique aussi le rôle légitime de la noblesse, en prêchant une doctrine sociale inspirée du Droit naturel comme de la Révélation.

La réponse à ces objections égalitaires, imprégnées du vieil esprit de 1789, est simple. Celui qui veut la connaître n’aura qu’à l’écouter des lèvres autorisées du Pape. Dans ses allocutions au Patriciat et à la Noblesse romaine, il montre avec un esprit de synthèse remarquable, on le verra plus loin (8), le profond sens moral de son intervention dans ce domaine. Il indique aussi le rôle légitime de la noblesse, en prêchant une doctrine sociale inspirée du Droit naturel comme de la Révélation. Il relève, en même temps, toutes les richesses d’âme qui sont devenues, dans le passé chrétien, les caractéristiques de la noblesse et il assure que celle-ci en demeure la gardienne, ajoutant que lui revient la haute mission de les fortifier et de les faire rayonner dans le monde contemporain, alors même que l’action dévastatrice des révolutions idéologiques, des guerres mondiales et des crises socio-économiques eût réduit in concreto de nombreux nobles à une condition modeste. A plus d’un endroit, le Pape rappelle l’analogie de situation entre ces derniers — quel honneur pour eux ! — et saint Joseph, prince de la Maison de David et cependant modeste charpentier, mais surtout père adoptif du Verbe Incarné et chaste époux de la, reine de tous les anges et de tous les saints (9).

4. Les enseignements de Pie XII : précieux bouclier de la noblesse contre ses opposants

Il n’est pas impossible que certains lecteurs nobles se demandent quel profit ils pourront tirer de cette étude. En effet — penseront-ils — n’ont-ils pas déjà reçu la plupart de ces enseignements dans l’ambiance vénérable du foyer paternel, riche de traditions au contenu profondément formateur et moral Ne les ont-ils pas déjà mis en pratique au long de leur vie, les yeux fixés sur le fort souvenir des exemples laissés par leurs ancêtres Il est bien vrai qu’ils n’ont peut-être pas très clair à l’esprit la racine religieuse inappréciable de ces devoirs, ni leur base dans les documents pontificaux. Mais — demanderont-ils encore — quel enrichissement véritable de l’âme peut apporter cette connaissance, puisque le précieux dépôt familial qu’ils ont conservé leur suffit pour donner à leur propre vie une orientation en même temps authentiquement aristocratique et authentiquement chrétienne

Un aristocrate qui, sur de tels motifs, jugerait inutile l’étude des documents impérissables de Pie XII sur la Noblesse romaine — applicables à toute la noblesse européenne — ferait preuve de superficialité, autant d’esprit que de formation religieuse.

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N’ont-ils pas déjà reçu la plupart de ces enseignements dans l’ambiance vénérable du foyer paternel, riche de traditions au contenu profondément formateur et moral

Pour ne pas manquer de base sérieuse, l’intégrité morale du catholique doit se fonder sur la connaissance lucide et aimante des enseignements de l’Eglise, ainsi que sur une adhésion bien enracinée à ces mêmes enseignements. Dans le cas contraire, cette intégrité risquerait de s’effondrer d’un moment à l’autre, surtout dans les jours troublés de la société post-chrétienne actuelle, saturée d’incitation au péché et à la révolution sociale.

Contre les séductions et les pressions de cette société, l’influence suave et profonde de la formation familiale ne suffit pas, à moins de s’appuyer sur les enseignements de la foi et sur l’observance effective des Commandements, ainsi que sur la pratique assidue des devoirs de piété et le recours fréquent aux sacrements.

Pour le véritable gentilhomme catholique, il est aussi évidemment d’un grand secours de savoir que sa façon traditionnelle de penser, de sentir et d’agir en tant qu’aristocrate trouve un fondement ample et ferme dans les enseignements du Vicaire du Christ. Cela est d’autant plus vrai que le noble, immergé dans l’esprit démocratique et néo-païen du moment, est exposé aux incompréhensions, aux objections et même aux sarcasmes, parfois si insistants qu’il pourrait se sentir tenté par la honte d’être noble. De là naîtrait facilement l’espérance de se soustraire à cette situation incommode par un abandon tacite ou explicite de sa condition nobiliaire.

Les enseignements de Pie XII sur cette matière, publiés et commentés ici, lui serviront dans ces occasions critiques de bouclier très précieux face aux adversaires obstinés de la noblesse. Car ceux-ci se verront obligés de reconnaître que le noble ainsi fidèle à lui-même, à la foi et à ses traditions, n’est pas un extravagant s’étant forgé seul des convictions et un style de vie qui le caractérisent et que tout cela découle d’une source plus haute, d’une inspiration plus universelle — oh combien ! : l’enseignement traditionnel de l’Eglise catholique.

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Pour le véritable gentilhomme catholique, il est aussi évidemment d’un grand secours de savoir que sa façon traditionnelle de penser, de sentir et d’agir en tant qu’aristocrate trouve un fondement ample et ferme dans les enseignements du Vicaire du Christ.

Ces opposants de la noblesse pourront haïr cet enseignement. Mais il ne leur sera pas possible de le rabaisser au rang de simples élucubrations personnelles d’un Don Quichotte, paladin anachronique de ce qui a été et ne peut plus être.

L’objecteur ne sera peut-être pas convaincu mais son offensive accusera dans tous les cas une perte en désinvolture et en force d’impact dialectiquement très avantageuse pour l’apologiste de la noblesse et des élites traditionnelles.

Cela sera surtout vrai si le détracteur de la classe noble est un catholique ou — pro dolor ! — un prêtre. Dans la crise tragique où se débat l’Eglise — à laquelle Paul VI faisait allusion lorsqu’il parlait « d’autodémolition » et déclarait avoir la sensation que la « fumée de Satan avait pénétré dans le temple de Dieu (10) » — une telle éventualité n’est pas improbable ; en d’autres termes, il n’est pas impossible que cette offensive contre la noblesse ou les autres élites, traditionnelles ou non, prétende se fonder sur des extraits des Saintes Ecritures. Pour le noble, ainsi que pour tout membre de ces élites, il sera alors d’un secours sans prix de pouvoir s’appuyer sur l’enseignement de Pie XII, de ses prédécesseurs comme de ses successeurs, plaçant l’opposant dans la dure contingence de confesser son erreur ou de s’affirmer en contradiction explicite avec les enseignements pontificaux relevés dans cet ouvrage.

5. Insuffisance des notions intuitives et implicites — richesse des concepts dans les allocutions de Pie XII

Il a été fait référence plus haut aux objections qui visent de nos jours l’institution nobiliaire, et aux réponses que les nobles doivent garder prêtes et aiguisées pour se défendre.

En réalité, ceux qui attaquent ou défendent la noblesse dans leurs discussions possèdent certaines notions intuitives et diffuses de ce qu’elle estime être en fonction de son essence, de sa raison d’être et de sa fidélité à la civilisation chrétienne. Mais de simples notions intuitives de ce genre, généralement plus implicites qu’explicites, ne fournissent pas assez de matière première pour une discussion sérieuse et concluante avec des opposants. D’où résulte la stérilité habituelle de tant de controverses sur ce thème.

width=189On peut d’ailleurs ajouter que la bibliographie opposée à la noblesse se trouve beaucoup plus abondante et facile d’accès que celle en sa faveur. Ceci explique, au moins en partie, que les défenseurs de la noblesse soient fréquemment moins informés, se montrant ainsi moins sûrs et plus timides que leurs adversaires.

Les aspects principaux d’une apologie actualisée de la noblesse et des élites traditionnelles se rencontrent dans les allocutions au Patriciat et à la Noblesse romaine de l’inoubliable Pontife, exposés avec une élévation de vue, une richesse de concepts et une concision de langage que le lecteur pourra apprécier. La connaissance de cet ouvrage n’en est que plus utile et opportune.

6. Allocutions de pure courtoisie sociale, vides de contenu, de pensée et de dilection

Faisant preuve d’une évidente frivolité, certains se croient sans doute dispensés de lire et évaluer les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine, les qualifiant de simples documents de courtoisie sociale, donc vides de tout contenu doctrinal voire affectif.

Le jugement de Paul VI est bien différent : « Nous avons tant de choses à vous dire. Votre présence suscite tant de réflexions. Il en était de même pour Nos vénérés prédécesseurs, spécialement le Pape Pie XII, d’heureuse mémoire qui, en des occasions comme celle-là, vous adressèrent des allocutions magistrales vous incitant à méditer sur les conditions de votre existence et celles de notre temps, à la lumière de leurs admirables enseignements. Nous voulons croire que leur écho, semblable au vent qui gonfle une voile, […] vibre encore dans vos coeurs pour les remplir de ces appels austères et magnanimes qui alimentent la vocation assignée par la Providence à votre vie et sustentent la fonction que la société contemporaine exige encore de vous (11). »

Pour ce qui est du contenu doctrinal, il suffit d’ailleurs de lire les textes de ces allocutions et les commentaires qui les accompagnent pour comprendre leur opportunité et les multiples richesses qu’elles renferment. Tout au long de ces pages, il deviendra manifeste aux yeux du lecteur que cette opportunité, loin de s’évanouir avec le temps, n’a fait au contraire que s’accentuer.

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Paul VI: Votre présence suscite tant de réflexions. Il en était de même pour Nos vénérés prédécesseurs, spécialement le Pape Pie XII, d’heureuse mémoire qui, en des occasions comme celle-là, vous adressèrent des allocutions magistrales vous incitant à méditer sur les conditions de votre existence et celles de notre temps, à la lumière de leurs admirables enseignements. Nous voulons croire que leur écho, semblable au vent qui gonfle une voile.

Il reste quelques mots à dire sur le côté affectueux de ces allocutions. Il suffit pour cela de mentionner les paroles adressées par Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine en 1958 :

« Vous qui, aux débuts du nouvel an, ne manquiez pas de Nous rendre visite, vous vous rappelez certainement la sollicitude empressée avec laquelle Nous Nous employions à vous tracer la voie vers l’avenir qui déjà alors se présentait bien rude, par suite des profonds bouleversements et transformations menaçant le monde. Nous sommes cependant certain que même lorsque vos fronts seront encadrés de neige et d’argent, vous rendrez témoignage non seulement de Notre estime et de Notre affection, mais encore de la vérité, du bien-fondé et de l’opportunité de Nos recommandations, comme des fruits que, Nous voulons l’espérer, vous en recueillerez vous-mêmes ainsi que la société. Vous rappellerez en particulier à vos enfants et petits-enfants que le Pape de votre enfance et de votre adolescence n’a pas omis de vous indiquer les nouvelles tâches qu’imposaient à la noblesse les nouvelles conditions des temps (12). »

Ces paroles montrent sans aucun doute que les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine obéissaient à de hauts desseins, clairement définis dans l’esprit et le coeur du Pape. Elles montrent aussi l’importance et la durabilité des fruits qu’il en attendait, donc le contraire de ce que seraient des allocutions de pure courtoisie sociale, vides de contenu, de pensée et d’affection.

L’estime que Pie XII portait à la noblesse héréditaire ressort encore, avec un éclat particulier, dans ces paroles qu’il adressait à la Garde Noble pontificale le 26 décembre 1942:

« Personne ne pourra se montrer jaloux si Nous vous dispensons une affection toute particulière. En vérité, à qui est confiée la garde immédiate de Notre personne si ce n’est à vous N’êtes-vous pas la première de Nos Gardes

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Garde! Altière résonance du terme: l’âme en frémit, la pensée s’enflamme.

« Garde ! Altière résonance du terme : l’âme en frémit, la pensée s’enflamme. Dans ce nom vibrent et s’expriment un amour ardent envers le Souverain, un attachement indéfectible à sa personne et à sa cause ; il fait vibrer une générosité à toute épreuve, une constance et un courage invincible dans les risques affrontés pour son service et pour sa défense ; sous ce nom s’expriment des vertus qui, d’une part façonnent le combattant, et de l’autre suscitent chez le Souverain, envers sa Garde, estime, affection et confiance.

« Vous, Gardes de Notre personne, soyez Notre cuirasse, étincelante de cette noblesse qui est privilège du sang et qui, déjà avant votre admission dans le Corps, resplendissait en vous comme gage de votre attachement et dévouement parce que, selon l’adage ancien, « bon sang ne peut mentir ». Vie est le sang transmis, de degré en degré, de génération en génération, dans vos familles illustres et qui porte en lui-même le feu de cet amour voué à l’Eglise et au Pontife romain, que les transformations des événements heureux ou tristes n’ont ni diminué ni refroidi. Aux heures les plus sombres de l’histoire des Papes, la fidélité de vos aïeux brilla avec plus d’éclat et de netteté, plus généreuse et plus ardente que dans les heures éclatantes de magnificence et de prospérité matérielle. […] Une tradition si distinguée de vertus familiales continuera, Nous n’en doutons pas, ainsi qu’elle a été transmise dans le passé de père en fils, à se transmettre de génération en génération comme un héritage de grandeur d’âme et de fierté très noble du lignage (13). »

7. Documents de valeur permanente

Mais — dira-t-on enfin — une nouvelle ère s’est ouverte pour l’Eglise après Pie XII, celle du Concile Vatican II. Toutes les allocutions que ce Pape décédé adressait au Patriciat et à la Noblesse romaine sont tombées comme feuilles mortes sur le pavé de l’Eglise. Et les Papes conciliaires et post-conciliaires n’ont plus traité ce sujet.

Cela aussi est faux. Pour le prouver, des documents significatifs des successeurs du regretté Pontife sont mentionnés dans cet ouvrage, argumentandi gratia (14).

Il ne reste plus qu’à passer à l’étude de ces allocutions de Pie XII, en soulignant leur magnifique richesse doctrinale.

 

Notes:

(1) Cf. Plinio CORRÊA DE OLIVEIRA, Révolution et Contre-Révolution, Editions Catolicismo, Campos, 1960, Ire partie, chapitre III n° 5, et chapitre VII n° 3.

(2) Cf. Chapitres IV et V.

(3) Le Patriciat romain était divisé en deux catégories :

a) Les Patriciens romains, descendants de ceux qui avaient occupé, au Moyen Age, des charges civiles dans le gouvernement de la cité pontificale ;

b) Les Patriciens romains conscrits, appartenant à l’une des 60 familles que le Souverain Pontife avait reconnues comme telles dans une Bulle Pontificale spéciale, où elles étaient citées nominalement. Ils constituaient le summum du Patriciat romain.

La Noblesse romaine était elle aussi divisée en deux catégories :

a) Les nobles, descendants de feudataires, c’est-à-dire de familles qui avaient reçu un fief du Souverain Pontife ;

b) Les nobles simples, dont la noblesse provenait soit de l’attribution d’une charge à la Cour, soit d’une concession pontificale directe.

Les allocutions adressées par Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine en 1952 et en 1958 comprennent tout ce que le Pape avait dit dans les précédentes.

Exceptionnellement, Pie XII en prononça une le 11 juillet 1944, pour remercier les familles de la Noblesse romaine d’une somme généreuse offerte pour les pauvres.

Entre 1953 et 1957, Pie XII n’adressa pas d’allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine. 11 en reprit le cours en janvier 1958 mais mourut le 9 octobre de la même année.

(4) PNR 1943.

(5) Cf. Chapitres IV et VI.

(6) Cf. Chapitre V.

(7) Cf. Chapitre III ainsi que les extraits importants des Documents Pontificaux éclairant ce point dans l’Appendice II.

(8) Cf. n°s 6 et 7 suivants.

(9) Cf. Chapitres IV et V.

(10) « L’Eglise traverse aujourd’hui un moment d’inquiétude. Certains exercent l’autocritique,on dirait jusqu’à l’autodémolition. C’est comme un retournement intérieur aigu et complexe que personne n’attendait après le Concile […] L’Eglise est frappée aussi par ceux qui en font partie. » (Discours au Séminaire Pontifical Lombard, 7-12-68, Insegnamenti di Paolo VI, Tipografia Poliglotta Vaticana, 1968, vol. VI, p. 1188).

Se référant à la situation de l’Eglise aujourd’hui, le Saint Père affirme avoir la sensation que « par certaine fissure, la fumée de Satan a pénétré dans le temple de Dieu » (Homélie « Resistite Fortes in Fide », 29-6-72, Insegnamenti di Paolo VI, Tipografia Poliglotta Vaticana, 1972, vol. X, p.707.).

La bibliographie sur ce sujet est vaste.

Voir en particulier : Vittorio MESSORI, A colloquio con il cardinale Joseph Ratzinger — Rapporto Sulla fede, Edizioni Paoline, Milan, 1985 ; Romano AMERIO, Iota Unum — Studio delle variazioni della Chiesa Cattolica nel secolo XX, Riccardo Ricciardi Editore, Milan-Naples, 1985.

A titre d’exemple, peuvent aussi être mentionnées ici quelques oeuvres sur cette crise : Dietrich von HILDEBRAND, Le cheval de Troie dans la cité de Dieu, Beauchesne, Paris, 1970 ; ID, Der verwüstete Weinberg, Verlag Joseph Habbel, Ratisbonne, 1973 ; Dr Rudolf GRABER, Evêque de Ratisbonne, Athanasius und die Kirche unserer Zeit, Verlag und Druck Joseph Kral, Abensber, 1973 ; Comelio FABRO, L’avventura della teologia progressista, Rusconi Editore, Milan, 1974 ; ID, La svolta antropologica di Karl Rahner, Rusconi Editore, Milan, 1974 ; Anton HOLZER, Vatikanum II —Reformkonzil oder Konstituante einer neuen Kirche, Saka, Bâle, 1977 ; Wigand SIEBEL, Katholisch oder konziliar— Die Krise der Kirche heute, Langen Müller, Munich-Vienne, 1978 ; Cardinal Joseph SIRI, Gethsemani —Réflexions sur le mouvement théologique contemporain, Téqui, Paris, 1981 ; Enrique RUEDA, The Homosexual Network, The Devin Adair Company, Old Greenwich, Connecticut, 1982 ; Prof. Dr. Georg MAY, Der Glaube in der nachkonziliaren Kirche, Mediatrix Verlag, Vienne, 1983 ; Richard COWDEN-GUIDO, John Paul II and the Battle for Vatican II, Trinity Communications, Manassas, Virginie, 1986.

(11) PNR 1964.

(12) PNR 1958.

(13) GNP 1942.

(14) Cf. Chapitres I et IV.